mercredi 13 septembre 2006

La complainte du zygopétale

Je vous le dis bien en face, ça ne peut plus durer !
La techno nous bouffe, le cyber nous étouffe. Plus on s’occupe des chiffres, moins on s’occupe des hommes. Plus tu branches, moins tu penses : haut débit, gros dépit. Alors, je dis : halte-là !
Je voudrais un peu de poésie dans ce monde de la vitesse reine. Je voudrais du temps pour une âme calme et sereine.
Je voudrais que les gens se regardent dans les yeux quand ils se parlent, que chacun puisse se contempler dans sa glace tous les matins sans faire des grimaces.
Qu’on se souvienne plus souvent qu’on va mourir, Bill Gates comme les autres : ce jour-là, couvert de ses dollars, il sera aussi nu qu’un sans-papier car il ne pourra pas acheter le paradis (enfin, je l’espère, Saint-Pierre, je t’en supplie !).

La pluie est triste parce qu'elle nous rappelle le temps où nous étions poissons. »
Ramon Gomez de la Serna
Je voudrais que l’entreprise redevienne un lieu social habité par des âmes fortes et droites, soucieuses de développer un grand projet utile. Je voudrais combattre la lâcheté grandissante d’une planète affolée qui ne parvient même plus à intéresser les nouvelles générations.
Les salariés de Larousse, inquiets d’être repris par un groupe qui monopoliserait toute l’édition française (en clair : achetés par Hachette, le roi de la machette), manifestaient en disant : « Voici comment nous serons gérés : les lettres W et Z, n’étant pas assez utilisées, seront supprimées de l’alphabet ! » Fini le zygopétale*, adieu le witloof **!
Ils avaient compris, eux, que le summum de l’Ebitda est de faire tout avec rien.
D’ailleurs, quand nous aurons installé toutes nos usines ailleurs (c’est-à-dire là où c’est moins cher), puis tous nos services (parce que, c’est incroyable, même les pauvres deviennent intelligents), alors, que nous restera-t-il d’autre à faire que se demander à quoi on sert ? Et quand les pauvres seront riches, où ira-t-on, ratons erratiques ?
Bref, le choix est simple : d’un côté, compter ; de l’autre, aimer. Avoir ou être, telle est la question binaire du monde digitalisé.
Je sais, certains militent pour que le commerce soit durable, l’économie solidaire, les échanges équilibrés, les politiques intelligents et les patrons intègres. Mais en général, ce sont les pauvres qui font semblant d’y croire, les riches, eux se marrent en allumant leur cigare.
Voilà donc, triste bilan, où nous a amené la techno : à accélérer le temps et à supprimer l’espace. Le monde digital est un monde virtuel, au sens propre, c’est-à-dire unidimensionnel.
Essayez de le dessiner, ce monde à un seul axe (l’argent), vous verrez, ce n’est pas facile ! Même le point le plus minuscule écrit sur une feuille blanche possède au moins trois dimensions. L’argent n’avait déjà pas d’odeur, désormais, il n’a pas non plus d’existence mathématique.
Pourtant, la techno aurait pu nous faire du bien, nous apprendre à lire et à écrire, à parler toutes les langues, bref à écouter et comprendre l’autre. Au lieu de cela, elle s’est contentée d’accélérer la communication, cette forme trafiquée de l’information. Grâce à elle, on bidouille les comptes, on diffuse des virus. Le monde a perdu son âme.
* variété d’orchidées tropicales à ample labelle (Petit Robert)
** chicorée sauvage à grosse racine qui, par étiolement, donne l’endive (Petit Robert)
(NDLR: la grosse photo d'ouverture n'est pas un zygopétale, mais un witloof (une endive, quoi!) ]--source photos--

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