vendredi 11 avril 2014

Eloge de la fadeur

Je suis tombé par hasard (mes camarades de taichi) sur ce livre Eloge de la fadeur du philosophe et sinologue François Jullien, qui n'est pas vraiment une nouveauté, puisqu'il date de 1991. Et ce fut un éblouissement ! A notre époque d'esbroufe, d'hyper-hype et de buzz, de cyber-égotisme et de voyeurisme, (re)découvrir les fondements de la pensée et l'esthétique de la Chine sur un concept aussi d'éloigné de nous les Occidentaux que cette "fadeur-détachement" , est un véritable petit miracle que je vous invite à accomplir à votre tour. Ce sera délectable, vous verrez. 
Au départ, l'idée paraît inconcevable: comment s'intéresser à une culture qui veut se détacher de la saveur, du goût, de l'aspérité, de la différence? Et pourtant... Il y a bien une recherche de la Voie, du Tao qui est celle de ce détachement, au sens de l'union avec la nature, avec le centre, à la fois sur terre et au ciel. D'où ces mêmes paysages, comme celui de la couverture ou à droite, peints par le même peintre  (Ni Zan, 14e siècle) pendant des années, avec simplement, au fil des ans, des traits plus fins et des rochers qui s'éloignent...
Qu'évoquent pour nous ces notions de vide, de tranquillité, d'indifférence, d'insensibilité? Souvent des connotations négatives alors qu'ici il s'agit de l'essence même de la vie. Ce petit livre me parait de très bon conseil pour tous les patrons et managers qui cherchent un sens à leur vie et à la motivation des troupes. Bien sûr, il ne faudra pas traduire cela en non-agir mais simplement en recherche de l'équilibre avec son environnement. "La fadeur qui conduit au détachement est simplement la voie du libre épanouissement" nous prévient l'auteur qui cite Zhuang Zhou, auteur du Zhangzi, 4e siècle AVJC:
Laisse évoluer ton coeur dans la fadeur-détachement, unis ton souffle vital à l'indifférenciation générale. Si tu épouses le mouvement spontané des choses, sans te permettre de préférence individuelle, le monde entier sera en paix.
Quant à imaginer que le summum de la littérature soit la fadeur poétique, là-aussi j'ai beaucoup de mal à franchir ce pas, moi qui adore par exemple la poésie romantique. Eh bien, si, si, il y à quelque chose à comprendre, là aussi. Même Gide le disait : "l'artiste s'efforce vers la banalité.."  Ce qui est fade est authentique et non perturbé. L'harmonie est invisible et ne peut s'exprimer par signes. La beauté est fugitive, insaississable.
"La fadeur est la saveur de la sagesse" conclut l'auteur.
Bon, en ce qui me concerne, y'a du boulot: et vous?

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