mercredi 3 mars 2010

Bonjour les hommes et tant pis si je me trompe!

Mon grand-père, qui était un bon vivant, m'emmenait souvent gamin, j'avais dans les douze ans peut-être, à son bar favori, place de la Madeleine à Paris. Il s'appelait Le Yearling je crois. Il y jouait assidûment au 421, avec un public d'habitués, retraités ou rentiers, fumeurs et buveurs, râleurs et discoureurs. Lui, toujours impeccable en veston, canne, cache-nez et chapeau,  je n'ai jamais su comment il gagnait sa vie, il ne travaillait pas en tout cas et passait son temps dans ce bistro. Moi dans ses talons, il en poussait la porte d'un geste théâtral et, entrant dans un grand courant d'air, lançait à la cantonade de sa voix rauque et forte: "Bonjour les hommes!... Et tant pis si je me trompe!..;"
Et les habitués, pour lui faire plaisir, faisaient semblant de grogner et le tançaient mollement en murmurant des reproches. Mais moi, j'étais impressionné d'une telle audace et j'avais peur d'une bagarre. Qui n'arriva jamais bien entendu. Et puis, un beau jour, mon grand-père est mort, j'ai grandi et j'ai oublié le Yearling et son public. Mais pas cette phrase : "Bonjour les hommes!... Et tant pis si je me trompe!" Et je trouve qu'elle résonne encore aujourd'hui de bien des façons.
source image: tirée du livre excellent  Turlupinades & tricoteries : Dictionnaire des mots obsolètes de la langue française, par Alain Duchesne et Thierry Leguay, chez Larousse.

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