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Conversations avec un philosophe sur internet, les blogs, etc.

BesnierCi-dessous,  extraits de la discussion que j’ai eue récemment sur BFM (c'est dans le dernier quart d'heure de cette séquence audio) avec Jean-Michel Besnier, un philosophe qui dit plein de choses passionnantes, et parfois dures, sur des sujets qui nous intéressent comme la modernité, internet, les blogs, etc.


Pourquoi les philosophes n’aiment-ils pas la technique ? Ils en ont peur ?
JMB : Il existe une vieille tradition de disqualification de la technique chez les philosophes : la technique, c’est l’affaire des esclaves. L’homme est asservi à la nature et la technique c’est l’ensemble des démarches qu’il utilise pour ruser avec la nature.
La philosophie, c’est la lenteur et la technologie, la vitesse, c’est cela ?
JMB : Oui, la philosophie est du côté de la contemplation ; pour nous, la plus haute pratique, c’est la contemplation. Le philosophe est déconcerté par la vitesse, cette fuite en avant permanente, qui fait oublier l’essentiel, qui recouvre tout. Toutes les grandes questions des philosophes sont recouvertes par la technique qui manipule des « étants », par opposition à « êtres ».
Vous dites aussi que le rituel, nécessaire, disparaît avec internet…
JMB : Internet homogénéise les pratiques à l’échelle de la planète ; tout ce qui est singulier se dilue, se dissipe ; on assiste à une planétarisation des comportements, liée aux machines qui dictent leurs usages.
Si on prend les blogs, c’est l’inverse : chaque contenu est spécifique…
JMB : Le phénomène du blog est intéressant parce qu’il exprime une tentative pour préserver sa singularité dans un univers qui lamine. C’est un renouveau de l’intériorité, ce qui est plutôt rassurant par rapport à une société tout internet ou chaque individu aurait tendance à se penser d’abord comme un être communiquant, qui n’existe que dans sa relation, qui n’a plus de substance.
Ce sont les théories de Palo Alto et de la cybernétique ?
JMB : Exactement ! Le blog, ce goût pour le récit de soi, est une manière de camper sur une individualité. C’est très positif.
Et ma fille de 14 ans qui passe son temps à chatter sur internet, c’est bien ou ce n’est pas bien ?
JMB : Ce n'est pas une question de morale! Tout ce qui encourage à communiquer est positif. Ce qui est nocif, c’est l’autisme. L’humanité se définit d’abord et avant tout par son aptitude à communiquer. C’est parce que nous sommes des êtres de communication que nous pouvons grandir.
Ces jeunes qui chattent, ces internautes qui bloguent, ils communiquent vraiment ?
JMB : Toute la question est de savoir s’ils communiquent où s’ils s’expriment. Je me méfie beaucoup de ce culte de l’expression, très à la mode : il n’est pas synonyme d’écoute. Pour communiquer, il faut être deux et deux individus à part entière.
Il n’y a peut-être pas d’échange, simplement une juxtaposition d’expressions personnelles…
JMB : Absolument : Lacan parlait de « jaculation ». Toute cette subjectivité, ce culte de l’expression, n’est pas forcément un facteur d’enrichissement.
Quand même, dans le blog, il y aussi ce phénomène des commentaires, ces réactions immédiates des lecteurs, cette inter-réactivité, très rapide, très nerveuse : ce n’est pas quelque chose qui fait avancer la pensée, cela ?
JMB : Oui, c’est très intéressant ; on tient là quelque chose d’assez nouveau qu’on pourrait appeler de l’inter-subjectivité, c’est-à-dire le fait de mettre en relation deux individus qui se pensent comme des sujets, qui prennent des initiatives dans leur relation, qui défendent des valeurs, des idéaux, des arguments.
Revient-on au modèle de l’agora antique, à l’espace public de Habermas ?
JMB : Ce modèle de tchatche s’inscrit dans le modèle de l’agora, sauf que celle-ci était très organisée, très ritualisée. Il y avait ceux qui l’organisaient, qui parlaient et il y avait des esclaves, des femmes, des enfants, qui n’avaient pas accès à l’agora. Et le rituel était très fort : on se déplaçait, on allait au centre de l’agora, on prenait la parole puis on reprenait sa place et ainsi de suite. Aujourd’hui, on est plutôt dans un joyeux désordre, dans une idéologie du désordre dont on espère que naîtra un nouvel ordre.
Il y a un risque de schyzophrénie dans le cyber-espace, on confond le réel et l’imaginaire, c’est cela ?
JMB : Oui, pour moi, le cyberespace connote cette espèce d’immersion dans une religion anéantissante. C’est une idéologie effrayante où on laisse entendre que grâce à la connexion de nos ordinateurs, nous allons réaliser une espèce de cerveau planétaire.  Et vous, moi, nous serons chacun un neurone de cette planète. Le problème c’est qu’un neurone, ça se remplace facilement.
De toute façon, à force de se frotter au numérique, notre cerveau est en train de changer, non ?
JMB : Toute activité que nous commettons transforme notre cerveau. On n’est peut-être pas de futurs robots, mais le fait d’être tous formatés de la même manière par nos machines est certainement en train de changer quelque chose. On n’en prend pas encore toute la mesure neurobiologique. Mais, déjà, au niveau des comportements, au niveau des langages, on a des indices qui montrent que nos machines ont un impact sur notre manière de penser.
Comment faire pour lutter contre la saturation d’informations ?
JMB : Se débrancher, bien sûr ! C’est cela l’idée de la philosophie, de la poésie : emprunter les chemins de campagne…

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