lundi 9 janvier 2006

Simone de Beauvoir, jeune fille rangée?

« Je suis née, à quatre heures du matin, le 9 janvier 1908, dans une chambre aux meubles laqués de blanc, qui donnait sur le boulevard Raspail. »
Tel est l’incipit des Mémoires d'une jeune fille rangée (1958). Une première page qui ancre le récit dans l’écriture autobiographique. À partir, notamment, des données fondatrices qu’apporte l’album de photos. C’est aussi à partir de ce support visuel que la narratrice, qui est à la fois l’héroïne du récit et son auteur, compte reconstituer l’histoire de sa personnalité. Une personnalité très tôt affirmée, volontaire, consciente de sa position, de sa précocité, de son autonomie, un brin arrogante. Quant à l’écriture, sèche, informative, sérieuse, froide, elle est celle d’une journaliste, soucieuse de garder ses distances avec ce qui est pour elle un travail d’enquête documentaire rigoureux et précis, même si l’objet d’étude concerne son moi. Un moi pour lequel Simone de Beauvoir ne manifeste d’ailleurs aucune indulgence et ne sollicite nullement la compassion du lecteur.
Premier volet d’une importante somme autobiographique, L es Mémoires d’une jeune fille rangée s’ouvrent sur  la naissance de Simone et se ferment sur la mort de Zaza en 1929.
Cette première partie sera suivie de La force de l'âge (1960), La Force des choses (1963), Une mort très douce (1964), Tout compte fait (1972), et enfin, La Cérémonie des adieux (1981). L’ensemble de cette œuvre forme le projet autobiographique de Simone de Beauvoir. Un  projet dont l’intitulé souligne d’emblée la fantaisie ironique et provocatrice. En même temps que les paradoxes. Il ne s’agit pas pour l’auteur de rivaliser avec les grands mémorialistes, ses prédécesseurs. Ce qui impliquerait un rapport très étroit de l’individu à l’Histoire. Pour autant, Simone de Beauvoir, soucieuse de ne rien omettre, ne néglige nullement les caractéristiques de son époque et tente, à travers une chronique personnelle, de rendre compte de sa propre « formation ».
Dans ce premier ouvrage, l’auteur retrace ses années de jeunesse et de formation intellectuelle ; ses prises de position face à une famille traditionnelle et bourgeoise qui considère d’un œil réprobateur les ambitions de la jeune fille. Ses rencontres, ses amitiés (Élisabeth dite Zaza, sa plus vieille amie, Jacques, son cousin dont elle se croit amoureuse) et ses fréquentations (Nizan, Sartre). Puis son projet affirmé de passer une agrégation de philosophie et de devenir écrivain. Tout cela passe par une nécessaire émancipation. Et par la rupture avec les principes familiaux conformistes qui avaient jusqu’alors aveuglément pesé sur son existence de « jeune fille rangée ».
Se dégageant peu à peu de la chronique familiale, les Mémoires d’une jeune fille rangée deviennent le laboratoire d’une aventure individuelle qui passe par l’écriture. Une aventure qui trouve sa pleine justification dans la rencontre, en 1929, avec Jean-Paul Sartre qui, au lendemain de l’admissibilité de la jeune agrégative, qu’il a surnommée « Castor », déclare: « À partir de maintenant, je vous prends en main ».
Angèle Paoli
Terres de femmes



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