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Un poème pour deux tableaux de 800 ans d'écart

La recherche d'oeuvres d'art pour illustrer mes poèmes est une activité passionnante qui me dévore : je découvre tellement de nouveaux univers artistiques à chaque pas de ma démarche que je ne sais vers où me tourner. Je cherche d'abord dans l'art contemporain car c'est celui que je connais le moins et que je veux découvrir et plus j'avance dans sa révélation, plus j'ai envie de le promouvoir.
D'où la création récente de la Galerie d'Art contemporain - Sélection où j'expose mes coups de coeurs de simple amateur.

Mais je cherche aussi dans toutes les époques (je vous dirai un peu plus tard ma classification de l'histoire de l'art, genre pour les nuls !). Je chine au hasard de mes rencontres, qui sont la plupart du temps virtuelles, je l'avoue à mon grand regret même si j'essaie de garder un peu de temps pour les expos et les visites d'atelier. Et même si je n'avais pas imaginé que des oeuvres lointaines puissent se retrouver sur le même plan comme candidates à l'illustration. C'est ce qui vient pourtant de se passer pour l'un de mes poèmes déjà publié (et plusieurs fois primé) : la porte du tableau.

L'histoire de la création ce poème peut vous intéresser car elle cumule aussi des dates éloignées les unes des autres que ma recherche rassemble et elle explique en tout cas la juxtaposition des deux tableaux.

Tout commence par ma lecture de ce passage des Essais sur le bouddhisme zen de Daisetz Teitaro Suzuki qui raconte la belle histoire de ce peintre célèbre Ou-Tao-Tseu (alias Wou Daozi) du 9ème siècle:

"Ou Tao-tseu, l’un des plus grands peintres de Chine, vivait sous le règne de l’Empereur Siuan-tsoung, de la dynastie Tang. D’après la légende, sa dernière peinture fut un paysage commandé par l’Empereur pour orner un des murs du palais. L’artiste dissimula son œuvre sous un rideau jusqu’à l’arrivée de l’Empereur ; tirant alors le rideau, il découvrit sa vaste peinture. L’Empereur contempla avec admiration une scène merveilleuse : forêts, hautes montagnes, nuages flottant dans le ciel immense, hommes sur les collines, vols d’oiseaux dans les airs. "Voyez, dit le peintre, dans la caverne, au pied de cette montagne, réside un esprit." Il battit des mains, et la porte qui fermait l’entrée de la caverne s’ouvrit.  "L’intérieur en est magnifique, au-delà de tout ce que les mots peuvent exprimer, poursuivit-il. Permettez-moi de vous montrer le chemin." Ce disant, il entra dans la caverne ; la porte se referma sur lui et, avant que l’Empereur étonné eût pu parler ou faire un geste, tout s’était évanoui sur le mur redevenu blanc, où ne subsistait plus aucune trace du pinceau de l’artiste. On ne revit jamais plus Ou Tao-tseu."

Marguerite Yourcenar s'inspire de ce récit dans sa nouvelle Comment Wang-Fo fut sauvé des eaux où la porte est remplacé par un bateau sur lequel le peintre embarque pour disparaître au loin. Une légende similaire est reprise dans de nombreuses cultures, y compris japonaises.

Mon texte s'inspirant directement de la première légende, je cherche d'abord des oeuvres asiatiques anciennes: je tombe sur cet artiste chinois extraordinaire Xia Gui (1195-124) et je choisis une oeuvre où l'on voit une montagne dans laquelle on peut imaginer une porte dans la caverne.

Mais je me dis que c'est un texte aussi très actuel et je cherche alors dans les galeries d'art contemporain notamment le fantastique Nicole's Museum où je trouve cette Lune et cette petite fille; certes, le thème est rebattu mais la façon dont il est traité ici m'émeut: la drôle de tête de la Lune, la petite fille de dos sur la pointe des pieds sur le menton de la Lune, pour toucher les étoiles...

Et je décide alors de me servir des deux tableaux pour illustrer mon poème!..

Voici ce que cela donne comme mise en scène dans Galerie Amavero :

Mimi Svanberg
Xia Gui : Pure and Remote
View of Streams and Mountains  (~1200)

la porte du tableau

le temps souffle comme le vent
qui n’offre rien pour s’arrimer
transmuant ton cœur élimé
en nuée de limbes mouvants

dans les ténèbres somnambule
tu ne sais sur quel pied danser
balbutiant et balancé
tu sursautes comme une bulle

grenouille sur un nénuphar
luciole perdue dans la brume
fleur de désir et d’amertume
voilier louvoyant vers le phare

suivant sa vocation ténue
la mémoire de tes dix doigts
cherche le toucher de l’émoi
et le frisson de l’âme nue

nuit et jour tu peins tu zigzagues
dans un serpentin de questions
un matin vient la solution
ravir les écumes des vagues

suivant ta foi ton idéal
tu fais éclore du tableau
une maison de terre et eau
dont tu es le héros final

étiré par ton repentir
un trait pareil à une eau-forte
sur la toile éclaire la porte
par où tu peux enfin partir

Hommage à Ou Tao-tseu (en japonais Godoshi) et Wang Fô

Texte de Luc Fayard, illustré par l'oeuvre de Mimi Svanberg et celle de Xia Gui.
Poème deux fois primé: paru dans
L'Anthologie des meilleurs poèmes du Prix international Arthur Rimbaud 2022 et Flamme de Bronze du Prix Flammes Vives 2022

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