jeudi 14 septembre 2006

Bouger, moi ? Jamais !

[chronique publiée dans 01 DSI n°6 
Mais qu'est-ce qu'ils ont tous, ces terriens hystériques, à vouloir à tout prix faire bouger les choses et les gens ? Ils ont peur de prendre racine ou quoi ? Mais c'est Racine qu'ils perdent ! Qui, dans ce monde effervescent, fera encore l'éloge de la paresse reine? Qui osera dire la joie indicible de la contemplation douce ?
Même dans l'eau, on ne voit que des pas drôles qui croulent sous le crawl, moi je coule cool, je fais la planche, je suis la baleine à l'aise, insensible à l'alêne de la modernité.
En fait, je sais pourquoi ils bougent tous tant : c'est l'angoisse de la mort qui les tenaille, depuis qu'ils sont sortis du ventre de leur mère où ils étaient si pépères. C'est ça le péché originel : nous obliger à quitter les limbes amniotiques pour l'enfer frénétique de la trépidation.En marchant, je rêve. En lisant, je pleure. Vous les agités du bocal, vous pouvez toujours essayer de me parler, je suis un poisson rouge, je vous vois comme dans un film muet, tel un Buster Keaton face à l'agitation brownienne du 21e siècle.
Moi je ne veux pas trépider, je ne trépigne pas, je lévite, j'évite tous les risques de la technologie. Je ne veux pas de ce téléphone portable qui permet à n'importe qui de me déranger n'importe où. Je refuse ce haut débit qui se pâme devant le spam à tout vat. Je ne serai jamais interactif comme un jeu vidéo car est interactif tout ce qui vous empêche de communiquer avec vos proches, parce que vous passez des heures sur un PC à surfer sur internet ou à jouer en réseau. Je ne suis pas le nomade de Jacques Attali. Même les Touaregs ont des habitudes immuables. Et même la montre arrêtée a raison deux fois par jour.
Je veux du temps, suprême richesse inaccessible à l'homo communicans. Je veux de la poésie déclamée dans un théâtre antique. Bouger, bouger… Tiens, ça me fait penser à la définition du yachting par les Anglais : " Le moyen le plus lent, le plus inconfortable et le plus salé, pour aller d'un endroit où on est bien à un endroit où on n'a pas du tout envie d'aller. " Si tu bouges, c'est que t'es pas à l'aise, ça te gratte, ça te démange. Tu cherches à te faire une place au soleil au lieu de faire du soleil, comme te le conseillait pourtant Genet (ou Giono, v'là que je sais plus). A défaut, écoute donc
Francis Blanche : " Mieux vaut penser le changement que changer le pansement ". Penses donc un peu si tu peux ! Oses l'immobile ! Croise les bras, lève la tête, respires ! Bon d'accord, l'air est pollué, le silence troué, tout le monde ne peut pas vivre à 2 000 mètres de haut avec les chamois, sans TNT ni ADSL, sans wifi, ouf ! Là, enfin seul, sur mon rocher, jouant négligemment d'une flûte à peine taillée, l'œil perdu sur les cîmes enneigées dénuées de paraboles, je me paierai comptant le
luxe infini… de m'emmerder.

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